La lettre précédente, rédigée pendant le confinement, faisait apparaître un certain nombre de sujets d’inquiétude sur le plan économique et notamment dans le secteur des vins fins.

Les perspectives de rebond semblaient peu nombreuses et on s’apprêtait déjà à tirer un trait sur la campagne primeurs à Bordeaux pour la première fois, malgré un millésime 2019 de très haute qualité.

Il n’en fut rien, et les propriétés bordelaises ont finalement accepté de « jouer le jeu » en baissant leurs tarifs, à l’origine de la campagne la plus active depuis 10 ans.

Pour autant, les dégâts causés par le Covid 19 sont encore difficile à mesurer, tant sur le plan sanitaire quand le continent américain n’a pas encore atteint le pic de l’épidémie, que sur le plan économique … Le monde du vin tremble encore à l’idée de voir se prolonger cette pandémie qui ralentit considérablement l’activité sur ses principaux marchés.

Une salle de dégustation de primeurs 2019 à Margaux, pendant le confinement.texte

1- La campagne Primeurs 2019 a finalement bien eu lieu :

On finissait par ne plus y croire, malgré un millésime 2019 très prometteur en qualité. Mais après deux semaines de déconfinement progressif en France, le château Pontet Canet (Pauillac) prenait la responsabilité d’annoncer la couleur le 28 mai en sortant son millésime 2019 sur le marché avec une baisse de tarif de 31% par rapport au millésime précédent, pourtant jugé moins qualitatif… Dans la foulée, le Château Palmer (Margaux) s’affichait à -33% puis Cos d’Estournel (Saint-Estèphe) à -24% par rapport au millésime 2018.

Ces premières sorties, dont l’objectif était de tester un marché qui paraissait atone et désintéressé, ont surpris beaucoup de professionnels, incrédules. Cependant, la poursuite des sorties en forte baisse les jours suivants a déclenché un réveil du marché qui s’est ensuite peu à peu emballé. La quasi-totalité des grandes étiquettes sont sorties en trois semaines, dans une campagne « comprimée » à tous points de vue :

  • Par le nombre réduit de dégustateurs qui ont publié des notes cette année,
  • Par la courte durée de la période des sorties, inférieure à un mois,
  • Par les prix en baisse de 15 à 30% en moyenne par rapport à l’an passé,
  • Par le faible nombre de vins qui ont réellement suscité l’excitation des acheteurs (une vingtaine d’étiquettes au maximum),
  • Et enfin par les volumes limités qui ont été mis en vente sur le marché.

Une salle de dégustation de primeurs 2019 à Margaux, pendant le confinement.

Sur ce dernier point, on peut en effet imaginer que les propriétés qui pouvaient se le permettre ont préféré garder du stock d’un millésime 2019 appelé à progresser en prix …

Finalement, cette campagne « primeurs 2019 » s’est soldée par un succès commercial, le premier depuis la sortie du millésime 2010, il y a presque 10 ans.

Mais elle s’est également soldée par un véritable intérêt sur les prix. En effet, à ces niveaux-là, il redevient intéressant de s’approvisionner en primeurs pour la première fois depuis le millésime 2008, il y a déjà plus de 11 ans… Et il y a des signes qui ne trompent pas, comme le fait qu’une vingtaine d’étiquettes, épuisées chez la plupart des négociants, se négocient déjà sur le marché secondaire à un prix sensiblement plus élevé !

En plus des trois vins cités précédemment, on retiendra surtout les châteaux Mouton Rothschild, Margaux et Haut-Brion parmi les premiers crus classés en 1855, mais aussi les châteaux Calon Ségur et Montrose à Saint-Estèphe, les châteaux Pichon Comtesse de Lalande, Pichon Longueville Baron ou Lynch Bages à Pauillac, les châteaux Ducru Beaucaillou, Léoville Poyferré et Branaire Ducru à Saint-Julien, les châteaux Brane Cantenac et Rauzan Ségla à Margaux, le domaine de Chevalier et le château Carmes Haut-Brion à Pessac et Léognan, la château La Conseillante à Pomerol, et le château Canon à Saint-Emilion, sans être exhaustifs …

2- L’actualité du marché des grands vins :

Malgré ce regain d’intérêt ponctuel pour les vins de Bordeaux, la part de marché de la région dans les transactions sur le Liv-Ex est restée inférieure à 50% sur les deux derniers mois (cf. Tableau ci-dessous). Les échanges « En Primeur » ne représentaient respectivement que 18,5% des échanges en valeur et 14,8% en volume, ce qui apparait comme assez faible au regard de l’intérêt suscité par ailleurs.

En revanche, l’impact de cette campagne « primeurs » semble avoir été plus positif sur la valorisation des grands Bordeaux en général, comme le montre la courbe ci-dessous :

On observe en effet que les deux sous-indices régionaux « Bordeaux 500 » et « Bordeaux Legend 40 » ont progressé ce trimestre pour la première fois depuis de longs mois.

D’une manière générale, la Champagne et l’Italie ont particulièrement bénéficié de ces douze derniers mois perturbés, tandis que la Bourgogne qui conduisait le train de ces dernières années semble avoir cessé sa « correction ».

Plus globalement, le principal indice, le Liv-ex 100 a baissé de 0,22% en Juin, et de 2,3% pour le premier semestre de 2020. La courbe ci-dessous retrace son évolution sur les dix dernières années.

On observe que l’indice retrouve aujourd’hui ses niveaux de 2010 avant la flambée qui précédait la loi anti-corruption en Chine, et de 2016, après la chute de la livre sterling liée au vote pour le Brexit … Aujourd’hui, ces écarts de change ont été provisoirement « digérés » et les évolutions de ces derniers mois sont semblables dans les principales devises.

Malgré cette performance plutôt décevante sur 10 ans, le marché des grands vins se présente toujours comme une couverture solide contre la volatilité des marchés financiers mondiaux et, en Juin, les achats en provenance d’Asie ont été les plus actifs depuis le mois de Janvier, avant le Nouvel An chinois et le début du verrouillage mondial. Peut-on y voir de quoi se réjouir ?